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Alendi partage leur avis.
Une partie de Vin n’était même pas dérangée par le nombre de personnes qu’elle avait tuées. Mais cette indifférence la terrifiait.
Elle était sur son balcon, peu après sa visite au palais, et la ville de Luthadel noyée dans les ténèbres se déployait devant elle. Elle était assise dans les brumes – mais savait désormais qu’elle ne trouverait pas consolation dans leurs mouvements tourbillonnants. Rien n’était plus si simple aujourd’hui.
L’esprit des brumes l’observait, comme toujours. Il était trop distant pour qu’elle le voie, mais elle percevait sa présence. Et, plus fort encore que l’esprit des brumes, elle sentait autre chose. Cette cadence puissante qui gagnait en intensité. Si elle avait paru lointaine tout d’abord, ce n’était plus le cas désormais.
Le Puits de l’Ascension.
C’était forcément lui. Elle sentait le retour de son pouvoir, déversé de nouveau dans le monde, exigeant qu’on le prenne et qu’on l’utilise. Elle se surprenait constamment à regarder vers le nord, vers Terris, en s’attendant à voir quelque chose à l’horizon. Un éclat lumineux, un feu ardent, une tempête. N’importe quoi. Mais elle ne voyait que la brume.
Elle ne semblait plus en mesure de réussir dans quelque domaine que ce soit, ces temps-ci. L’amour, la protection, le devoir. Je me suis laissé disperser, songea-t-elle.
Tant de choses exigeaient son attention, et elle s’était efforcée de la leur accorder à toutes. En conséquence, elle n’avait rien accompli. Elle n’avait pas touché depuis des jours à ses travaux sur l’Insondable et le Héros des Siècles, toujours rangés en piles éparpillées à même le sol. Elle ne savait quasiment rien de l’esprit des brumes – simplement qu’il l’observait, et que l’auteur du journal l’estimait dangereux. Elle n’avait rien fait pour l’espion présent au cœur de sa bande ; elle ignorait si les affirmations de Zane concernant Demoux étaient ou non exactes.
Et Cett était toujours en vie. Elle n’était même pas capable d’orchestrer un massacre digne de ce nom sans faillir à mi-chemin. C’était la faute de Kelsier. Il l’avait formée à prendre sa place, mais était-ce à la portée de qui que ce soit ?
Pourquoi faut-il toujours que nous soyons les couteaux des autres ? murmura la voix de Zane dans sa tête.
Ses mots lui semblaient parfois posséder un sens, mais ils avaient une faille : Elend. Vin n’était pas son couteau – pas vraiment. Il ne voulait pas qu’elle tue ou qu’elle assassine. Mais ses idéaux l’avaient laissé sans trône, sa ville cernée par les ennemis. Si elle avait réellement aimé Elend – et le peuple de Luthadel –, n’aurait-elle pas accompli davantage ?
Les pulsations s’exerçaient contre elle tels les battements d’un tambour de la taille du soleil. Elle brûlait désormais du bronze de manière quasi constante pour écouter ce rythme, le laisser l’entraîner au loin…
— Maîtresse ? appela OreSeur derrière elle. À quoi pensez-vous ?
— À la fin, répondit doucement Vin en regardant au loin.
Silence.
— La fin de quoi, Maîtresse ?
— Je n’en sais rien.
OreSeur s’approcha du balcon à pas feutrés, pénétra parmi les brumes et s’assit auprès d’elle. Elle commençait à le connaître assez pour discerner une lueur inquiète dans ses yeux canins.
Elle soupira et secoua la tête.
— J’ai simplement des décisions à prendre. Et quel que soit le choix que je vais faire, il impliquera la fin de quelque chose.
OreSeur resta un moment immobile, tête penchée.
— Maîtresse, reprit-il enfin, voilà qui me semble excessivement théâtral.
Vin haussa les épaules.
— Pas de conseils à me donner, alors ?
— Contentez-vous de prendre cette décision, répondit OreSeur.
Vin réfléchit un moment, puis sourit.
— Sazed aurait dit quelque chose de très sage et de réconfortant.
OreSeur fronça les sourcils.
— Le rôle qu’il devrait tenir dans cette conversation m’échappe, Maîtresse.
— C’était mon intendant, expliqua Vin. Avant qu’il parte, et avant que Kelsier me transfère votre Contrat.
— Ah, commenta OreSeur. Eh bien, je n’ai jamais beaucoup aimé les Terrisiens, Maîtresse. Leur servilité un rien suffisante est très difficile à imiter – sans compter qu’ils ont les muscles bien trop filandreux pour avoir bon goût.
Vin haussa un sourcil.
— Vous avez imité des Terrisiens ? Je ne pensais pas que c’était très fréquent – ce n’était pas un peuple très influent du temps du Seigneur Maître.
— Ah, répondit OreSeur, mais ils se trouvaient toujours en présence de personnes influentes.
Vin hocha la tête et se leva. Elle regagna sa chambre vide et alluma une lampe, éteignant son étain. De la brume tapissait le sol, recouvrant ses piles de papier, et ses pas l’agitaient tandis qu’elle marchait.
Elle s’arrêta. C’était étrange. La brume s’attardait rarement lorsqu’elle pénétrait à l’intérieur. Elend affirmait que c’était lié à la chaleur et aux espaces clos. Vin avait toujours attribué cette particularité à une cause un peu plus mystique. Elle l’étudia, pensive.
Même sans étain, elle entendit un grincement.
Vin se retourna brusquement. Zane se tenait sur le balcon, dessinant une sombre silhouette au cœur des brumes. Il s’avança et la brume le suivit, comme elle le faisait pour toute personne brûlant des métaux. Et pourtant… elle semblait également s’éloigner légèrement de lui.
OreSeur gronda tout bas.
— Il est l’heure, déclara Zane.
— L’heure de quoi ? demanda Vin en reposant sa lampe.
— De partir. De quitter ces hommes et leurs armées. D’abandonner ces chamailleries. D’être libres.
Libres.
— Je… Je ne sais pas, Zane, dit Vin en détournant le regard.
Elle l’entendit s’avancer.
— Qu’est-ce que vous lui devez, Vin ? Il ne vous connaît pas. Il vous craint. En réalité, il n’a jamais été digne de vous.
— Non, répondit Vin en secouant la tête. Vous n’y êtes pas du tout, Zane. Vous ne comprenez pas. C’est moi qui n’ai jamais été digne de lui. Elend mérite quelqu’un de meilleur. Il mérite… quelqu’un qui partage ses idéaux. Qui estime qu’il a eu raison de renoncer à son trône. Qui y voit davantage d’honneur – et moins de bêtise.
— Quoi qu’il en soit, dit Zane en s’arrêtant non loin d’elle, il ne peut pas vous comprendre. Nous comprendre.
Vin ne répondit pas.
— Où iriez-vous, Vin ? reprit Zane. Si vous n’étiez pas liée à cet endroit, liée à lui ? Si vous étiez libre, et que vous puissiez faire tout ce que vous souhaitez, où iriez-vous ?
Les pulsations semblèrent s’accentuer. Elle regarda OreSeur, assis en silence près du mur latéral, presque entièrement dans le noir. Pourquoi se sentir coupable ? Qu’avait-elle à lui prouver ?
Elle se tourna de nouveau vers Zane.
— Au nord, déclara-t-elle. À Terris.
— Nous pouvons y aller. Quand vous voulez. L’endroit m’importe peu, du moment que ce n’est pas ici.
— Je ne peux pas les abandonner, répondit Vin.
— Même si, ce faisant, vous emmenez le seul Fils-des-brumes de Straff ? répliqua Zane. C’est une bonne affaire. Mon père saura que j’ai disparu, mais il ne comprendra pas que vous n’êtes plus à Luthadel. Il aura encore plus peur d’attaquer. En vous accordant la liberté, vous laisserez également un précieux cadeau à vos alliés.
Zane lui prit la main et l’obligea à le regarder. Il ressemblait à Elend – en plus dur. Zane avait été brisé par la vie, comme elle, mais tous deux s’étaient reconstruits. Étaient-ils par là même devenus plus forts, ou plus fragiles au contraire ?
— Venez, chuchota Zane. Vous pouvez me sauver, Vin.
La guerre arrive en ville, songea-t-elle en frissonnant. Si je reste, je vais encore devoir tuer.
Et, lentement, elle le laissa l’éloigner de son bureau, en direction des brumes et de l’obscurité réconfortante qu’elles masquaient. Elle leva la main pour s’emparer d’un flacon de métal pour le voyage, et ce geste fit se retourner Zane, méfiant.
Il a de bons réflexes, se dit Vin. Pareils aux miens. Ils lui interdisent toute confiance, mais c’est ce qui le garde en vie.
Il se détendit en voyant ce qu’elle faisait, puis sourit et se détourna de nouveau. Vin le suivit, se remit en marche, quand une soudaine bouffée de peur la traversa. Ça y est, songea-t-elle. Après ça, tout va changer. Le moment des décisions est passé.
Et j’ai fait le mauvais choix.
Elend n’aurait pas sursauté comme ça quand j’ai pris le flacon.
Elle se figea. Zane tira sur son poignet, pourtant elle ne bougea pas. Il se retourna vers elle parmi les brumes, fronçant les sourcils tandis qu’il se tenait au bord de son balcon.
— Je suis désolée, murmura Vin en dégageant sa main. Je ne peux pas vous accompagner.
— Quoi ? Pourquoi ça ?
Vin secoua la tête, se retourna et regagna la pièce.
— Dites-moi ce que c’est ! insista Zane, un ton plus haut. Qu’est-ce qui vous attire chez lui ? Ce n’est pas un grand dirigeant. Ni un guerrier. Ni un allomancien ou un général. Qu’est-ce que c’est, alors ?
La réponse s’imposa très facilement à Vin. Prends tes décisions – je te soutiendrai.
— Il a confiance en moi, murmura-t-elle.
— Quoi ? s’exclama Zane, incrédule.
— Quand j’ai attaqué Cett, expliqua Vin, tous les autres ont trouvé que je me comportais de manière irrationnelle – et ils avaient raison. Mais Elend leur a dit que j’avais de bonnes raisons, même s’il ignorait lesquelles.
— Alors c’est un idiot, répondit Zane.
— Quand on s’est parlé ensuite, poursuivit-elle sans le regarder, je me suis montrée froide envers lui. Je crois qu’il savait que je cherchais à décider si je devais rester avec lui ou pas. Et… il m’a dit qu’il se fiait à mon jugement. Qu’il me soutiendrait si je choisissais de le quitter.
— Alors il est indifférent, en plus de ça, répondit Zane.
Vin secoua la tête.
— Non. C’est seulement qu’il m’aime.
— Moi aussi, je vous aime.
Vin étudia Zane. Il paraissait furieux. Désespéré.
— Je vous crois. Mais je ne peux quand même pas vous accompagner.
— Mais pourquoi ?
— Parce que ça impliquerait de quitter Elend. Même si je ne partage pas ses idéaux, je peux les respecter. Même si je ne le mérite pas, je peux être près de lui. Je reste, Zane.
Zane garda un moment le silence, tandis que la brume tombait autour de ses épaules.
— Alors j’ai échoué.
Vin se détourna de lui.
— Non. Ce n’est pas que vous ayez échoué. Vous n’êtes pas en défaut simplement parce que je…
Il se précipita vers elle et la fit tomber sur le sol couvert de brume. Vin tourna la tête, stupéfaite, alors qu’elle heurtait le sol de bois, le souffle coupé.
Zane se dressait au-dessus d’elle, l’expression menaçante.
— Vous étiez censée me sauver, siffla-t-il.
Vin attisa tous ses métaux d’un seul coup. Elle repoussa Zane en arrière et se dégagea d’une Poussée en prenant appui sur les charnières de la porte. Elle vola en arrière et heurta violemment la porte, dont le bois se fendilla légèrement, mais elle était trop tendue – trop choquée – pour ressentir quoi que ce soit, excepté l’impact.
Zane se leva sans un bruit et se dressa, grand et menaçant. Vin avança d’une roulade et se redressa en position accroupie. Il était en train de l’attaquer. Pour de bon.
Mais… il…
— OreSeur ! s’exclama Vin, ignorant les protestations de son cerveau et dégainant ses poignards. Filez !
Le signal codé ayant été donné, elle chargea, s’efforçant de détourner l’attention de Zane du chien-loup. Zane esquiva ses attaques avec une grâce nonchalante. Vin visa son cou avec l’un de ses poignards. Elle le manqua de peu lorsqu’il pencha la tête en arrière. Elle visa son flanc, son bras, sa poitrine. Et le manqua chaque fois.
Elle avait deviné qu’il brûlerait de l’atium. Elle s’y était attendue. Elle s’arrêta en dérapant et le regarda. Il n’avait même pas pris la peine de tirer ses propres armes. Il se tenait devant elle, le visage sombre, la brume s’accumulant tel un lac à ses pieds.
— Pourquoi ne m’avez-vous pas écouté, Vin ? demanda-t-il. Pourquoi m’obliger à continuer d’être l’outil de Straff ? Nous savons tous les deux où ça doit mener.
Vin l’ignora. Serrant les dents, elle attaqua. Zane la repoussa avec indifférence, et prit légèrement appui contre le bureau derrière lui – se précipitant ainsi en arrière, comme projeté par la force du coup qu’il avait porté. Elle heurta le mur puis s’affala par terre.
Juste à côté d’un OreSeur surpris.
Il n’avait pas ouvert son épaule pour lui donner l’atium. N’avait-il pas compris le code ?
— L’atium que je vous ai donné, siffla Vin. J’en ai besoin. Tout de suite.
— Kandra, dit Zane. Venez vers moi.
OreSeur croisa le regard de Vin, et elle y lut quelque chose… De la honte. Il détourna le regard puis traversa la pièce, plongé dans la brume jusqu’à mi-pattes, pour rejoindre Zane en son milieu.
— Non…, murmura Vin. OreSeur…
— Vous n’obéirez plus à ses ordres, TenSoon, déclara Zane.
OreSeur baissa la tête.
— Le Contrat, OreSeur ! s’exclama Vin en se redressant à genoux. Vous devez obéir à mes ordres !
— C’est mon serviteur, Vin, lui dit Zane. Mon Contrat. Mes ordres.
Mon serviteur…
Et soudain, elle comprit. Elle avait soupçonné tout le monde – Dockson, Brise, et même Elend – mais n’avait jamais établi de lien entre l’espion et l’option la plus logique. Il y avait bel et bien un kandra dans le palais depuis le début. Et il se trouvait à ses côtés.
— Je suis désolé, Maîtresse, chuchota OreSeur.
— Depuis combien de temps ? demanda Vin, baissant la tête.
— Depuis que vous avez donné le corps du chien à mon prédécesseur – le véritable OreSeur, déclara le kandra. Je l’ai tué ce jour-là pour prendre sa place en portant le corps du chien. Vous ne l’avez jamais vu sous sa forme de chien-loup.
Le moyen le plus simple de masquer la transformation, songea Vin.
— Mais les os que nous avons découverts dans le palais, dit Vin. Vous étiez avec moi quand ils sont apparus. Ils…
Elle l’avait cru sur parole quant à l’ancienneté de ces os ; elle l’avait cru sur parole quant au moment où ils avaient été produits. Elle avait supposé depuis le départ que la substitution avait eu lieu ce jour-là, alors qu’elle se trouvait en compagnie d’Elend sur les remparts – mais elle l’avait fait, en premier lieu, à cause des propos d’OreSeur.
Quelle idiote ! songea-t-elle. OreSeur – ou TenSoon, comme Zane l’avait appelé – l’avait poussée à soupçonner tout le monde sauf lui-même. Qu’est-ce qui ne tournait pas rond chez elle ? D’ordinaire, elle était tellement douée pour débusquer les traîtres, pour repérer l’hypocrisie. Comment avait-elle pu ne rien voir chez son propre kandra ?
Zane s’avança. Vin attendit, toujours à genoux. Faible, se dit-elle. Aie l’air faible. Pour qu’il te laisse tranquille. Essaie de…
— M’apaiser ne servira à rien, déclara doucement Zane en la saisissant par l’avant de sa chemise pour la soulever puis la rejeter à terre.
La brume se souleva telle une vague en dessous d’elle lorsqu’elle heurta le sol. Vin étouffa un cri de douleur.
Je dois rester silencieuse. Si des gardes viennent, il les tuera. Si Elend vient…
Elle dut garder le silence, alors même que Zane assenait un coup de pied à son flanc blessé. Elle poussa un grognement tandis que les larmes lui montaient aux yeux.
— Vous auriez pu me sauver, lança Zane en baissant les yeux vers elle. J’étais prêt à partir avec vous. Et maintenant, qu’est-ce qu’il reste ? Rien. Rien que les ordres de Straff.
Il ponctua cette phrase d’un coup de pied.
Fais-toi petite, pensa-t-elle malgré la douleur. Il finira par te laisser…
Mais il y avait des années qu’elle n’avait pas dû se soumettre devant quiconque. L’époque où elle rampait devant Camon et Reen n’était plus qu’une ombre nébuleuse, oubliée face à la lumière que lui avaient offerte Elend et Kelsier. Alors que Zane la frappait d’un nouveau coup de pied, Vin sentit la colère monter en elle.
Il recula le pied, qu’il dirigea vers son visage, et Vin bougea. Alors qu’il l’abaissait, elle se projeta en arrière, prenant appui contre les poignées de la fenêtre pour filer à travers les brumes. Elle attisa son potin et se releva d’un bond, suivie d’une traînée de brume. Elle en avait à présent jusqu’aux genoux.
Elle lança un regard noir à Zane, qui le lui rendit avec une expression menaçante. Vin se baissa et s’élança vers l’avant, mais Zane réagit plus vite – réagit le premier – et s’interposa entre elle et le balcon. Elle n’aurait toutefois pas gagné grand-chose à l’atteindre ; avec l’atium, il pouvait facilement la rattraper.
C’était comme cette fois précédente où il l’avait attaquée avec de l’atium. Mais en pire encore. L’autre fois, elle avait pu se persuader – ne serait-ce qu’un peu – qu’ils se battaient par jeu. Qu’ils n’étaient toujours pas ennemis, même s’ils n’étaient pas amis. Elle n’avait pas réellement cru qu’il veuille la tuer.
Cette fois, elle n’avait pas cette illusion. Le regard de Zane était sombre, son expression sévère – tout comme cette nuit, quelques jours plus tôt, où ils avaient massacré les hommes de Cett.
Vin allait mourir.
Elle n’avait pas éprouvé une telle peur depuis longtemps. Mais elle la voyait à présent, l’éprouvait, la flairait sur elle-même tandis qu’elle reculait face à Zane. Elle comprenait ce qu’on ressentait en affrontant un Fils-des-brumes – ce qu’avaient dû ressentir ces soldats qu’elle avait tués. Inutile de se battre. Elle n’avait aucune chance.
Non, se dit-elle avec fermeté, pressant la main contre son flanc. Elend n’a pas reculé devant Straff. Il ne possède pas l’allomancie, mais il est entré droit dans le camp des koloss.
Je peux le battre.
Avec un cri, Vin se précipita vers TenSoon. Le chien recula, stupéfait, mais il n’avait pas à s’en faire. Zane était de nouveau là. Il heurta Vin d’un coup d’épaule, puis, d’un grand geste de son poignard, lui entailla la joue alors qu’elle tombait en arrière. La coupure était précise. Parfaite. Identique à celle qu’elle avait reçue à l’autre joue lors de son premier combat contre un Fils-des-brumes, près de deux ans plus tôt.
Vin serra les dents, brûlant du fer pendant sa chute. D’une Traction, elle fit jaillir dans sa paume les pièces que contenait une bourse posée sur son bureau. Elle heurta le sol sur le flanc, baissant l’autre main, et se redressa brusquement. Elle laissa tomber une poignée de pièces dans sa paume, puis les tendit vers Zane.
Du sang coulait de son menton. Elle lança les pièces. Zane fit mine de les repousser.
Vin sourit, puis brûla son duralumin tout en exerçant une Poussée. Les pièces jaillirent de sa main, et le souffle de leur passage écarta les brumes à terre, dévoilant le sol au-dessous.
La pièce s’ébranla.
En un clin d’œil, Vin se retrouva projetée en arrière contre le mur. Elle hoqueta de surprise, le souffle coupé, la vision brouillée. Elle leva les yeux, désorientée, surprise de se retrouver de nouveau à terre.
— Le duralumin, déclara Zane, toujours debout, main tendue devant lui. TenSoon m’en avait parlé. Nous en avions déduit que vous deviez disposer d’un nouveau métal, vu la façon dont vous arriviez à percevoir ma présence quand j’active mon cuivre. Après quelques recherches, il a découvert ce mot de votre métallurgiste, qui contenait des instructions bien pratiques pour fabriquer le duralumin.
L’esprit embrouillé de Vin luttait pour associer des idées. Zane possédait du duralumin. Il l’avait utilisé, et repoussé l’une des pièces qu’elle lui lançait. Il devait également avoir exercé une Poussée derrière lui, pour éviter de se retrouver projeté en arrière tandis que leurs poids respectifs s’exerçaient l’un contre l’autre.
Et la propre Poussée de Vin, renforcée par le duralumin, l’avait projetée contre le mur. Elle avait du mal à réfléchir. Zane s’avança. Elle leva les yeux, hébétée, puis s’éloigna sur les mains et les genoux, rampant dans les brumes. Elles montaient au niveau de son visage, et ses narines picotaient lorsqu’elle inspirait ce chaos froid et silencieux.
De l’atium. Elle avait besoin d’atium. Mais la bille se trouvait dans l’épaule de TenSoon ; elle ne pouvait l’attirer vers elle. Si elle lui demandait de la conserver là, c’était parce que sa chair l’empêchait d’être affectée par les allomanciens. Tout comme les tiges transperçant le corps des Inquisiteurs, ou sa propre boucle d’oreille. Le métal qui se trouvait dans le corps de quelqu’un – ou qui le transperçait – ne pouvait en être extrait par Poussée ou Traction, sauf peut-être exercées par une puissance allomantique extrême.
Mais elle l’avait déjà fait. Alors qu’elle affrontait le Seigneur Maître. Ce n’était ni grâce à sa propre force ni même grâce au duralumin, qu’elle y était parvenue, mais grâce à tout autre chose : les brumes.
Elle avait puisé en elles.
Quelque chose la heurta dans le dos, la repoussant à terre. Elle roula sur le dos et donna un violent coup de pied dans l’air, mais manqua le visage de Zane de quelques centimètres à cause de l’atium. Zane écarta violemment son pied puis baissa la main pour la saisir par les épaules et la plaquer à terre.
Les brumes tournoyèrent autour de lui tandis qu’il la regardait. Malgré sa terreur, elle se concentra sur les brumes, comme elle l’avait fait plus d’un an auparavant lors du combat contre le Seigneur Maître. Ce jour-là, elles avaient nourri son allomancie, lui accordant une force qu’elle n’aurait pas dû posséder. Elle les appela, les supplia de lui venir en aide.
Et rien ne se produisit.
Je vous en prie…
Zane la cogna de nouveau contre le sol. Les brumes ignoraient toujours ses prières.
Elle se tortilla, exerçant une Traction contre le cadre de la fenêtre pour y prendre appui, et repoussa Zane sur le côté. Ils roulèrent à terre et Vin prit le dessus.
Soudain, tous deux se retrouvèrent arrachés au sol, jaillissant des brumes en direction du plafond tandis que Zane exerçait une Poussée contre des pièces restées à terre. Ils heurtèrent violemment le plafond, le corps de Zane clouant celui de Vin aux planches de bois. Il avait de nouveau le dessus – ou plutôt, le dessous, mais c’était là que se trouvait l’avantage.
Vin hoqueta. Comme il était fort. Plus fort qu’elle. Les doigts de Zane pénétrèrent dans la chair de ses bras malgré le potin, et des élancements de douleur parcouraient son flanc blessé. Elle n’était pas en état de se battre – pas contre un autre Fils-des-brumes.
Surtout un Fils-des-brumes muni d’atium.
Zane maintenait la Poussée qui les écrasait contre le plafond. Les cheveux de Vin tombaient vers lui et les brumes tournoyaient au sol, tel un vortex qui s’élevait lentement.
Zane relâcha sa Poussée, et ils tombèrent. Pourtant, il gardait le dessus. Il fit tourner Vin, la projetant en dessous de lui tandis qu’ils pénétraient de nouveau dans les brumes. Ils heurtèrent le sol, et l’impact coupa de nouveau le souffle de Vin. Zane se dressait au-dessus d’elle et parla à travers ses dents serrées.
— Tous ces efforts gâchés, siffla-t-il. Cacher un allomancien parmi les mercenaires de Cett pour que vous le soupçonniez d’avoir attaqué l’Assemblée. Vous obliger à vous battre devant Elend pour qu’il soit intimidé par vous. Vous pousser à explorer vos pouvoirs et à tuer pour que vous compreniez votre véritable puissance. Tout ça pour rien !
Il se pencha vers elle.
— Vous… étiez… censée… me… sauver ! dit-il, le visage à quelques centimètres du sien, respirant lourdement.
Du genou, il cloua au sol le bras de Vin qui tentait de se débattre, puis, lors d’un instant étrangement irréel, il l’embrassa.
Et simultanément, il plongea son poignard dans l’un de ses seins, sur le côté. Vin voulut crier, mais la bouche de Zane immobilisait la sienne alors même que la lame lui déchirait la chair.
— Soyez prudent, Maître ! hurla soudain OreSeur – TenSoon. Elle sait beaucoup de choses sur les kandra !
Zane leva les yeux et sa main s’immobilisa. La voix, la douleur, rendirent à Vin sa lucidité. Elle attisa son étain et se servit de la douleur pour s’éveiller sous l’effet du choc et s’éclaircir les idées.
— Quoi ? demanda Zane, baissant les yeux vers le kandra.
— Elle sait, Maître, répondit TenSoon. Elle connaît notre secret. La raison pour laquelle nous servions le Seigneur Maître. Pour laquelle nous servons le Contrat. Elle sait pourquoi nous redoutons tellement les allomanciens.
— Taisez-vous, ordonna Zane. Ne dites plus un mot.
TenSoon obéit.
Notre secret…, songea Vin en regardant le chien-loup, dont elle lut l’anxiété dans l’expression canine. Il essaie de me dire quelque chose. Il essaie de m’aider.
Un secret. Le secret des kandra. La dernière fois qu’elle avait tenté de l’apaiser, il avait hurlé de douleur. Pourtant, elle lut cette fois dans son regard qu’il l’y autorisait. Ce fut suffisant.
Elle dirigea un puissant Apaisement vers TenSoon. Il se mit à hurler, mais elle insista. Rien ne se produisit. Serrant les dents, elle brûla son duralumin.
Quelque chose céda. Elle se trouvait à deux emplacements à la fois. Elle sentait TenSoon debout près du mur, et elle percevait son propre corps dans la poigne de Zane. TenSoon était à elle, pleinement, totalement. Sans bien comprendre comment, elle lui ordonna de s’avancer, contrôlant son corps.
Le corps massif du chien-loup se projeta contre celui de Zane, l’écartant violemment de Vin. Le poignard tomba à terre et Vin se mit péniblement à genoux, tâta sa poitrine et y sentit couler un sang chaud. Zane roula à terre, manifestement stupéfait, mais il se releva et assena un coup de pied à TenSoon.
Des os se brisèrent. Le chien-loup culbuta à terre – droit vers Vin. Elle ramassa le poignard tandis qu’il roulait à ses pieds, puis le plongea dans son épaule, entaillant la peau, tâtant du bout des doigts à l’intérieur des muscles. Elle se retrouva avec les mains couvertes de sang et une unique bille d’atium. Elle l’avala d’un coup et se retourna vers Zane.
— Maintenant, on va voir comment vous vous en sortez, siffla-t-elle en brûlant l’atium.
Des dizaines d’ombres d’atium jaillirent de Zane, lui montrant les actions possibles qu’il pouvait entreprendre – toutes équivoques. Elle devait projeter à ses yeux à lui le même chaos déroutant. Ils étaient à égalité.
Zane se retourna, la fixa droit dans les yeux, et ses ombres d’atium disparurent.
Impossible ! songea-t-elle. TenSoon gémit à ses pieds lorsqu’elle comprit que sa réserve d’atium avait disparu. Entièrement consumée. Mais la bille était si grosse…
— Vous pensiez vraiment que j’allais vous donner l’arme dont vous aviez besoin pour me combattre ? demanda Zane. Que je vous laisserais prendre de l’atium ?
— Mais…
— Un morceau de plomb, poursuivit Zane en s’avançant. Recouvert d’une fine couche d’atium. Oh, Vin. Vous devez vraiment choisir plus soigneusement à qui vous fier.
Elle recula en titubant et sentit sa confiance s’évanouir. Fais-le parler ! se dit-elle. Essaie de le pousser à tomber à court d’atium.
— Mon frère disait que je ne devais faire confiance à personne…, marmonna-t-elle. Il disait… que tout le monde me trahirait.
— C’était quelqu’un de très sage, déclara calmement Zane, plongé dans la brume jusqu’à la poitrine.
— C’était un crétin paranoïaque, répondit Vin. Il m’a permis de rester en vie, mais il m’a brisée.
— Alors il vous a rendu service.
Vin regarda la forme blessée de TenSoon, qui saignait. Il souffrait ; elle le lisait dans ses yeux. Au loin, elle entendait… les pulsations. Elle avait de nouveau activé son cuivre. Elle leva lentement les yeux. Zane se dirigeait vers elle. Confiant.
— Vous m’avez manipulée, lui lança-t-elle. Vous avez creusé un fossé entre Elend et moi. Vous m’avez fait croire qu’il me craignait, qu’il se servait de moi.
— C’était le cas, répondit Zane.
— Oui, admit Vin. Mais ça n’a aucune importance – pas comme vous le faites croire. Elend se sert de moi. Kelsier aussi le faisait. On se sert les uns des autres, pour l’amour, pour le soutien, pour la confiance.
— La confiance vous tuera.
— Alors il vaut mieux mourir.
— Je vous faisais confiance, dit-il en s’arrêtant devant elle. Et vous m’avez trahi.
— Non, répondit Vin en élevant son poignard. Je vais vous sauver. Comme vous le vouliez.
Elle frappa, mais c’est en vain qu’elle avait espéré qu’il soit tombé à court d’atium. Il esquiva d’un air indifférent ; il laissa le poignard le frôler à un centimètre, sans jamais se trouver en réel danger.
Vin se retourna pour attaquer mais sa lame ne transperça que l’air, frôlant le sommet de la couche croissante de brume.
Zane agit avant qu’elle attaque de nouveau, sachant avant elle-même ce qu’elle allait faire. Son poignard frappa l’emplacement où il s’était trouvé l’instant d’avant.
Il est trop rapide, pensa-t-elle, le flanc endolori, tandis que son cerveau cognait. À moins que ce ne soient les pulsations du Puits de l’Ascension…
Zane s’arrêta pile devant elle.
Je ne peux pas l’atteindre, se dit-elle, frustrée. Pas s’il sait avant moi où je vais frapper !
Vin s’arrêta.
S’il sait avant moi…
Zane s’écarta vers un emplacement situé au cœur de la pièce, puis souleva d’un coup de pied le poignard qu’elle avait laissé tomber et s’en empara. Il se retourna vers elle, son arme suivie d’une traînée de brume, le regard sombre et la mâchoire serrée.
Il sait avant moi où je vais frapper.
Vin éleva son poignard, du sang coulant le long du visage et du flanc, tandis que la cadence tonitruante résonnait dans sa tête. La brume lui montait pratiquement jusqu’au menton.
Elle s’éclaircit les idées. Elle ne planifia aucune attaque. Elle ne réagit pas lorsque Zane se précipita vers elle, l’arme brandie. Elle détendit ses muscles et ferma les yeux, guettant le bruit de ses pas. Elle sentit la brume s’élever autour d’elle, remuée par l’intervention de Zane.
Elle ouvrit brusquement les yeux. Il avait élevé son poignard ; celui-ci scintilla lorsqu’il l’abaissa. Vin se prépara à attaquer, mais sans penser à ce coup ; elle laissa simplement réagir son corps.
Et observa Zane très, très attentivement.
Il s’écarta très légèrement sur la gauche, levant sa main ouverte comme pour s’emparer de quelque chose.
Là ! se dit Vin, s’écartant aussitôt sur le côté pour dévier la trajectoire de l’attaque qu’elle aurait portée par réflexe. Elle retourna son bras – et son poignard – à mi-coup. Elle s’était apprêtée à frapper sur la gauche, comme l’avait anticipé l’atium de Zane.
Mais par sa réaction, Zane lui avait montré ce qu’elle allait faire. Lui avait montré l’avenir. Et si elle le voyait, elle pouvait le modifier.
Ils se rencontrèrent. L’arme de Zane l’atteignit à l’épaule. Mais le couteau de Vin le frappa au cou. Il referma la main gauche sur le vide, cherchant à saisir une ombre qui aurait dû lui apprendre où se trouvait son bras.
Zane voulut hoqueter mais la lame lui avait transpercé la trachée. L’air s’engouffrait à travers le sang autour du poignard, et il recula en titubant, les yeux écarquillés sous l’effet du choc. Il croisa le regard de Vin, puis s’effondra parmi les brumes, heurtant lourdement le sol de bois.
Zane leva les yeux à travers les brumes, en direction de Vin. Je suis en train de mourir, se dit-il.
Au tout dernier instant, l’ombre d’atium de Vin s’était divisée. Deux ombres, deux possibilités. Il avait paré la mauvaise. Elle l’avait piégé, vaincu sans qu’il comprenne comment. Et à présent, il était en train de mourir.
Enfin.
— Vous savez pourquoi je pensais que vous alliez me sauver ? chercha-t-il à chuchoter, tout en sachant que ses lèvres ne formaient pas correctement ces mots. La voix. Vous étiez la première personne que j’aie jamais rencontrée qu’elle ne m’ordonnait pas de tuer. La seule personne.
— Évidemment, que je ne vous ai pas dit de la tuer, elle, le railla Dieu.
Zane sentait sa vie lui échapper.
— Et vous savez le plus drôle dans tout ça, Zane ? demanda Dieu. La partie la plus amusante ? Vous n’êtes pas fou.
» Vous ne l’avez jamais été.
Sans un mot, Vin regarda Zane crachoter tandis que du sang coulait de ses lèvres. Elle restait sur ses gardes ; un couteau en pleine gorge aurait dû suffire à tuer même un Fils-des-brumes, mais le potin permettait parfois d’accomplir des choses stupéfiantes.
Zane mourut. Elle vérifia son pouls, puis retira le poignard. Suite à quoi elle resta plantée là, en proie à une sensation… d’engourdissement, de l’esprit comme du corps. Elle leva la main vers son épaule blessée – et ce faisant, frôla son sein meurtri. Elle saignait trop, et ses pensées s’embrumaient de nouveau.
Je l’ai tué.
Elle attisa son potin, s’obligeant à rester en mouvement. Elle s’avança en titubant vers TenSoon et s’agenouilla près de lui.
— Maîtresse, lui dit-il. Je suis désolé…
— Je sais, répondit-elle en regardant fixement la plaie atroce qu’elle avait causée. (Ses pattes ne fonctionnaient plus, et son corps était tordu selon un angle peu naturel.) Comment je peux vous aider ?
— M’aider ? demanda TenSoon. Maîtresse, j’ai failli vous faire tuer !
— Je sais, répéta-t-elle. Comment est-ce que je peux effacer la douleur ? Vous avez besoin d’un autre corps ?
TenSoon garda un moment le silence.
— Oui, dit-il enfin.
— Prenez celui de Zane. Enfin, dans un premier temps.
— Il est mort ? demanda TenSoon avec surprise.
Il n’a rien pu voir, songea-t-elle. Il a la nuque brisée.
— Oui, murmura-t-elle.
— Comment, Maîtresse ? interrogea TenSoon. Est-il tombé à court d’atium ?
— Non, répondit Vin.
— Alors comment ?
— L’atium a une faiblesse, expliqua-t-elle. Il vous permet de voir l’avenir.
— Ça… ne me fait pas l’effet d’une faiblesse, Maîtresse.
Vin soupira, chancelant légèrement. Concentre-toi ! s’ordonna-t-elle.
— Quand on brûle de l’atium, on voit à quelques instants dans l’avenir – et on peut modifier ce qui va se passer dans ce futur-là. On peut attraper une flèche qui aurait dû continuer à voler. Esquiver un coup qui aurait dû vous tuer. Et on peut parer une attaque avant même qu’elle ait lieu.
TenSoon garda le silence, visiblement perplexe.
— Il m’a montré ce que j’allais faire, moi, poursuivit-elle. Je ne pouvais pas changer l’avenir, mais Zane, si. En réagissant à mon attaque avant même que je sache ce que j’allais faire, il m’a montré le futur par inadvertance. J’ai réagi en conséquence, et il a tenté de parer un coup qui n’est jamais venu. C’est ce qui m’a permis de le tuer.
— Maîtresse…, murmura TenSoon. C’était brillant.
— Je ne dois pas être la première à y avoir pensé, répondit Vin d’une voix lasse. Mais ce n’est pas le genre de secret qu’on partage. Enfin bref, prenez son corps.
— Je… préférerais ne pas porter les os de cette créature, dit TenSoon. Vous ignorez à quel point il était brisé, Maîtresse.
Vin hocha la tête.
— Je pourrais vous trouver un autre corps de chien, si vous voulez.
— Ce ne sera pas nécessaire, Maîtresse, répondit calmement TenSoon. J’ai toujours les os de l’autre chien-loup que vous m’aviez donnés, et la plupart sont encore en bon état. Si j’en remplace quelques-uns par les os intacts de ce corps-ci, je devrais pouvoir constituer un squelette complet.
— Dans ce cas, faites-le. Nous allons devoir planifier la prochaine étape.
TenSoon resta un moment silencieux. Puis il reprit la parole :
— Maîtresse, mon Contrat est nul, à présent que mon maître est mort. Je… dois retourner auprès des miens pour une nouvelle affectation.
— Ah, répondit Vin envahie d’une bouffée de tristesse. Bien sûr.
— Je n’ai aucune envie de partir, l’assura TenSoon. Mais je dois au moins me présenter devant mon peuple. Veuillez me pardonner.
— Il n’y a rien à pardonner, soupira Vin. Et merci pour cet indice à point nommé, tout à la fin.
TenSoon ne répondit rien. Elle lisait la culpabilité dans ses yeux canins. Il n’aurait pas dû m’aider à vaincre son maître actuel.
— Maîtresse, reprit-il. Vous connaissez notre secret à présent. Les Fils-des-brumes peuvent contrôler le corps d’un kandra grâce à l’allomancie. J’ignore ce que vous en ferez – mais gardez à l’esprit que je vous ai confié un secret que mon peuple cache depuis mille ans. La façon dont les allomanciens peuvent prendre le contrôle de notre corps et nous asservir.
— Je… ne comprends même pas ce qui s’est passé.
— C’est peut-être mieux ainsi, répondit TenSoon. S’il vous plaît, laissez-moi. J’ai les os de l’autre chien dans le placard. À votre retour, je serai parti.
Vin se leva, hochant la tête. Elle traversa ensuite les brumes pour se diriger vers le couloir de l’autre côté de la porte. Ses blessures nécessitaient des soins. Elle savait qu’elle aurait dû aller trouver Sazed, mais ne put s’obliger à emprunter cette direction. Elle accéléra l’allure tandis que ses pas la menaient le long du corridor, puis se mit à courir.
Tout s’effondrait autour d’elle. Elle ne pouvait tout réparer. Mais elle savait ce qu’elle voulait.
Elle courut donc le rejoindre.